Témoignage d’une institutrice (très) récemment retraitée.
C’est long,  mais beaucoup s’y sont reconnus.

Le métier que j’ai choisi, c’est enseigner. « Le plus beau métier du monde ».

Quoi de plus noble en effet que de transmettre des connaissances, un savoir-faire, des expériences, des valeurs humaines.

Le métier qu’on m’impose aujourd’hui, c’est de la gestion de dossiers. Quoi de moins noble en effet que de remplir dossier sur dossier, projet bidon sur projet bidon, statistiques sans objet sur statistiques réglées d’avance : PPRE, PAP, PAI, PPS (ne pas confondre avec PPMS, qui lui-même n’est pas sans rapport avec le DUER), LSU, projets d’école, avec avenants inventés sur mesure, et bilans tirés du panier. Les non initiés nagent dans le brouillard. Nous aussi…

…Pendant ce temps, nos élèves attendent…

Nous attendent en effet les élèves qui ont envie d’apprendre (il en reste quelques uns). Les autres s’en fichent. Mais ce n’est pas de leur faute : ils ont été diagnostiqués dyslexiques, dysorthographiques, dyspraxiques, dysmathématiques, dysgymnastiques, dysartplastiques, ou, dernier trouble très tendance : TDA (trouble de l’attention) ou TDC (trouble du comportement), les deux faisant souvent la paire, quelquefois causés par un HPI (haut potentiel intellectuel bien dissimulé). On parle moins du plus fréquent : le TDE (trouble de l’éducation !).

Car, quand tout a été essayé en vain pour faire progresser un élève, il reste cette bouée de sauvetage : le TDA. Vu que c’est le médecin qui l’a dit, ça dédouane les parents et leur enfant de toute responsabilité. C’est bien commode. Du coup, ça retombe sur les épaules de l’enseignant. Un sac de plus.

Donc, si un élève fiche votre classe en l’air, ne vous fâchez pas, et surtout ne lui en voulez pas : il ne PEUT pas faire autrement. Vous non plus ?… mais soyez donc bienveillant !

Un élève ne s’adapte pas à la classe ?… c’est alors à la classe à s’adapter à lui. L’enseignant, fort de ses quelques mois de formation théorique, devra donc savoir adapter sa classe et son enseignement à la dyslexie de l’un, au TDA d’un autre et au PAP d’un troisième. C’est beaucoup lui demander ?… Il a, pour l’aider dans sa tâche, les encouragements du ministre.

L’école est le dernier bastion d’autorité vers lequel se tournent les dirigeants du pays pour panser les plaies de la société.

Années 90 : les entreprises françaises ne maîtrisent pas assez les langues étrangères pour être compétitives au niveau international. « Il faut apprendre l’anglais dès l’école primaire ! ».

Années 2000 : Les Français ne vont plus voter. « Il faut rétablir l’instruction civique à l’école ! ».

Années 2010 : Des fanatiques assassinent en masse. « Il faut apprendre le respect et le vivre ensemble à l’école primaire ! ». (merci ! on n’y avait pas pensé…)

Année 2019 : des enfants se noient chez eux dans leur piscine. « Il faut apprendre la natation dès l’école maternelle ! ».

Si vous avez le temps, vous enseignerez aussi l’histoire, les maths, la langue française, le dessin, la joie de vivre et le plaisir d’apprendre.

Car c’est maintenant à l’école d’apprendre aux enfants de la Nation à nager dans leur piscine, à faire du vélo dans leur jardin, à ne pas toucher la casserole sur leur cuisinière, à se laver les mains avant de manger, les dents après, à quelle heure ils doivent se coucher, à dire bonjour et merci, à ne pas répondre au vilain monsieur en imperméable, à traverser la rue sur les passages piéton, à manger équilibré, à ne pas jeter les papiers par terre. Liste non exhaustive.

Ne croyez pas que leurs parents vous seront reconnaissants de faire tout ça à leur place. Ils se plaindront si leur enfant insupportable est puni, ils porteront plainte si vous maitrisez leur enfant violent, ils voudront changer de maîtresse s’il n’a pas réussi à apprendre à lire.

Bien sûr, tous les enfants doivent avoir les mêmes chances de réussite. Et c’est à l’école de réussir ce miracle : gommer les différences sociales qui gangrènent la société, et rendre égaux devant le savoir ceux dont les parents ne parlent pas français et ceux qui lisent Harry Potter, ceux qui dealent sous les porches et ceux qui visitent le Louvre, ceux qui se retrouvent au skate-park et ceux qui vont skier à Courchevel. Quoi de plus naturel, en effet !

Selon ses récentes déclarations, le président de la République veut « revaloriser les enseignants ». Comment fera-t-il, quand les enfants ont des droits sur les adultes, que les adultes n’ont pas ; quand les parents ont des droits sur les enseignants, que les enseignants n’ont pas ; quand on accorde aux familles toujours plus de droits en leur épargnant toujours plus de devoirs.

Alors que le monde entier s’entretue, et que le respect de toute autorité, privée ou publique, est bafoué quotidiennement, l’école, elle, a la mission d’apprendre le vivre-ensemble, le respect, la tolérance, à des enfants qui, dès huit ans, surfent sur les réseaux sociaux, vitrine publique des harcèlements faciles, des humiliations anonymes, des fortunes amassées sans effort, des fausses informations truquant l’actualité. Mais quel pouvoir peut donc avoir un maître d’école, avec pour tout bagage sa bonne volonté et ses valeurs humaines, face à ces nouvelles technologies d’éducation ?!… QUAND les ministres ouvriront-ils les yeux sur cette réalité ?!… QUAND cesseront-ils de faire croire que l’enseignant peut régler les problèmes de la société qu’aucun gouvernement ne sait réduire ?!

Qui, le premier, a proféré ce grossier mensonge ?!!

Pour nous aider dans ces missions impossibles, on nous propose …des évaluations nationales !!! Quelle farce !!! Quelle consternante supercherie !

Toujours plus de charges, toujours moins de considération ; toujours plus d’administration, toujours moins de pédagogie ; toujours plus de contraintes, toujours moins de droits.

Voilà le métier d’enseignant.

Le métier que je quitte sans regret.